MEMOIRE D'UN CLUB LEGENDAIRE  RED STAR 93

" LE RED STAR, mémoire d'un club légendaire"
(Les bonnes feuilles, 1ère partie)

Jules Rimet

LE P0ÈTE JULES RIMET

"Jules Rimet, qui a vécu son adolescence au sein du patronage La Rochefoucauld, est bien placé pour comprendre le rôle social que peut jouer le sport.
Deux amis l'ont amené au sport nouvelle manière, ayant sa morale et son idéal, très différent de la boxe française et du bâton qu'il a pratiqués rue Saint-Dominique.
Comment a-t-il connu Charles de Saint-Cyr, apprenti journaliste qui bien des années plus tard dirigera la Semaine à Paris ? Chose curieuse, par la poésie.
Enfant, Jules Rimet aimait écrire. Dès qu'il eut les quelques centaines de francs nécessaires, il fonda une revue. C'était la mode alors. Il la baptisa assez naïvement : la Revue. Ces revues de jeunes étaient innombrables on les appelait des " orphéons ". Elles étaient éphémères et ne duraient que le temps d'un commanditaire. La Revue échappa à la règle commune. Elle ne sombra pas au deuxième ou troisième numéro. Elle se fondit dans une revue, son aînée, plus solide, le sillon, à qui Marc Saignier avait emprunté son titre pour en parer son mouvement*. Rimet fut invité à y poursuivre son œuvre.
Il y publia des vers, des récits et même un conte de Noël. Sur le sommaire, son nom côtoyait celui de Charles de Saint-Cyr. Un poète. Mieux un poète "intenséiste", une école dont il devait être le seul disciple. En ce siècle finissant, les écoles poétiques étaient aussi nombreuses que les "orphéons".
Les deux garçons bavardèrent. Leurs goûts étaient proches. Ils se lièrent. Et Charles dévoila un coin de sa vie assez étonnant. Ce poète ne fréquentait pas comme ses collègues les brasseries du Quartier latin pour y trouver l'inspiration au fond de l'absinthe. A son âge, il courait dans les allées du bois de Boulogne en petite culotte. Les sergents de ville le regardaient, médusés, mais ne l'arrêtaient pas. Il portait sur le dos un maillot qui le disculpait. C'était un fou, mais un fou que l'on n'embarquait pas, c'était un "sportsman" du Racing Club de France.
Ernest Weber, son autre initiateur, était Montmartrois. Et pourtant une partie de son enfance s'était écoulée au Gros-Caillou où sa grand-mère habitait. Lui aussi se destinait au journalisme. Il devait d'ailleurs y réussir puisqu'il écrira dans la Vie au grand air, l'Auto, l'Intransigeant. Il sera le père de Jean Weber, sociétaire de la Comédie-Française, et créera le fameux bal des Petits Lits blancs. En 1897, son titre de gloire est tout autre. Il a été joueur de football au Club Français.
Avec de tels mentors, Jules Rimet est vite converti. Seulement il se sent plus une âme d'organisateur que des mollets de participant. Qu'à cela ne tienne ! A défaut de courir à travers champs ou à la poursuite d'un ballon, il réfléchit. Il trouve la parade pour déjouer les manœuvres de séduction du Gros-Caillou Sportif. Ce club, sous le couvert du sport, ne veut-il pas avant tout capter des voix électorales ? Eh bien, suivons son exemple. Au Gros-Caillou, opposons-lui un rival qui attirera à lui (et aux bonnes idées) la jeunesse méritante.
En février 1897, Jules Rimet réunit son frère Modeste, son beau-frère Jean de Pessac, Georges Delavenne, Charles de Saint-Cyr, Ernest Weber dans un café. Il n'a pas de peine à en trouver. En ces années-là, il y en avait tous les cinq mètres. Celui qu'il a choisi est à deux pas du domicile de ses parents. c'est le traiteur-marchand de vin Villiermet, à l'angle de la rue de Grenelle et de l'avenue de La Bourdonnais.
Le club, trop pauvre pour s'offrir un local, y aura son siège social. quelles seront ses activités ? Avec l'enthousiasme des néophytes, on ne chicane pas, tous les sports : l'athlétisme, le cyclisme (n'est-on pas voisin de la Galerie des Machines ?), la lutte, l'escrime, le football.
Comme il se doit, on nomme un comité. Il n'aura pas à sa disposition de tapis vert. Il devra se contenter du marbre de M. Villiermet, bistro. Jean de Piessac, fonctionnaire au ministère de la Guerre, en sera le président, Modeste, qui veut être acteur, le secrétaire.
Il ne reste plus qu'à trouver un nom. Miss Jenny, une Anglaise qui est gouvernante dans la famille d'un des conjurés, s'écrie :
- Le Red Star !
Le Red Star Club Français, heureux amalgame du snobisme britannique et du souci patriotique, vient de naître."

*mouvement politique et social engendré par la volonté d'un catholique : Marc Saigné.

( à suivre )

LE RED STAR,
mémoire d'un club légendaire
de Guillaume Hanoteau, avec la collaboration de Gilles Cutulic
© Robert Laffont - Editions Seghers
Dépôt légal : 1983

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