MEMOIRE D'UN CLUB LEGENDAIRE  RED STAR 93

" LE RED STAR, mémoire d'un club légendaire"
(Les bonnes feuilles, 5ème partie)

LE BOXEUR CHAYRIGUES

Pierre Chayriguès

"Après Austerlitz, Waterloo et son dernier carré. Le 27 février 1913 nous affrontons l'Angleterre à Colombes. L'Auto (ndlr l'ancêtre de L'Equipe) est pessimiste. Elle prédit un 8 à 0, malgré les débuts de Lucien Gamblin en équipe de France. Mais Chayriguès ? On l'avertit charitablement, il fera bien de ne pas se livrer à ses petits jeux habituels devant les attaquants britanniques. Ils sont rudes. Le match commence. Sanders est à 2 mètres du but français. Tout est perdu ! Non ! Le goal du Red Star a un réflexe extraordinaire. Il pare le shoot. Les petits drapeaux flottent dans les cœurs des Parisiens. Seconde alerte : Hoare expédie la balle vers le coin gauche du but, hors de portée, semble-t-il, de Chayriguès. Que tenter ? Se laisser tomber ? Ses mains ont beau être larges, monstrueusement larges, larges comme des mains de cauchemar, elles n'atteindraient pas le ballon. Il lui reste ses pieds. Ils décollent du sol, son corps décrit un vol plané, ses paumes stoppent à quelques millimètres de la ligne blanche le tir inaccessible. Pierre Chayriguès vient d'inventer le "plongeon". Les drapeaux tricolores font un bruit de Marseillaise. Nous serons vaincus mais l'honneur sera sauf : 4 buts à 1 !
La presse anglaise du lendemain décernera du "génie" à Chayriguès.
Pierrot se moque de ces louanges. Parmi ses camarades du Red Star, il est resté simple et blagueur. Toujours la plaisanterie aux lèvres. Ah oui ! un vrai gosse de "Paname". Dans la vie comme devant ses bois, rien ne peut le déconcerter. Il sait se tirer des situations les plus extravagantes.
Les joueurs du Red Star se trouvèrent un jour prisonniers d'un hôtel de Lisbonne où ils étaient allés disputer un tournoi et menacés de quelques mois à la "plonge". On les avait volés. Ils n'avaient plus un centime pour payer leurs notes et rentrer en France. Ce fut l'ingénieux Chayriguès qui les sauva. Il accepta de rencontrer dans un ring, moyennant un coquet cachet, un boxeur champion du Portugal. L'affiche était alléchante. Les organisateurs n'en étaient pas moins inquiets. Le goal français n'allait-il pas être massacré ? Pierrot les rassura. Ce type ne pouvait pas être plus rugueux que les avants qui le bousculaient chaque dimanche. Le match eut lieu. Chayriguès n'en sortit pas trop défiguré et avec l'argent du retour.
Si cet Auvergnat de la rue Lesueur avait la gouaille de sa ville natale, il avait aussi gardé du pays de ses ancêtres le sens des sous. Les éloges londoniens l'avaient laissé froid, mais l'offre de Tottenham Hotspur pour défendre ses buts - 1000 livres à la signature et 10 livres par match gagné - chatouilla ses narines aveyronnaises.
Il était alléché. Hélas ! en octobre 1913, il avait dû rejoindre à Toul le 39è me régiment d'infanterie pour y faire son service militaire, ce qui ne l'avait pas empêché de disputer quelques matches pour le Red Star et l'équipe de France. Mais de là à s'expatrier alors qu'il était troufion pour jouer sous les couleurs blanc et bleu de Tottenham il y avait une marge difficile à franchir !
Le cœur gros, il dut renoncer aux piles de livres sterling et il s'en lamentait encore lorsqu'un événement de dimension planétaire mit fin à ses regrets : la mobilisation des armées françaises et le début de la Première Guerre mondiale, le 2 août 1914."

Red Star

( à suivre )

LE RED STAR,
mémoire d'un club légendaire
de Guillaume Hanoteau, avec la collaboration de Gilles Cutulic
© Robert Laffont - Editions Seghers
Dépôt légal : 1983

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