LEON FOENKINOS  RED STAR FC 93

INTERVIEW DE LEON FOENKINOS,
CAPITAINE DU RED STAR EN 1942,
REALISE PAR CLAUDE DEWAELE

Claude Dewaele, spécialiste de l’histoire locale de Saint-Ouen et plus particulièrement de la période 39-45 avait fait un long interview de Léon Foenkinos, joueur professionnel du Red Star pendant cette période en présence de Jean-Georges Rougie, joueur dans l’équipe junior du Red Star Olympique en 1942.
Nous reproduisons une petite partie de cet interview du 22 décembre 2000 que nous a transmis Claude Dewaele, nous tenons à l’en remercier. Dans cette partie est évoquée Rino Della Negra.

LF (Léon Foenkinos), JGR (Jean-Georges Rougie), CD (Claude Dewaele)

Léon Foenkinos  Léon Foenkinos
A gauche, Leon Foenkinos, en 2000. A droite, un Bordeaux - Red Star, au Parc des Princes, en 1942. De gauche àdroite : Foenkinos, Nemeur, Nuevo
(documents Gilles Saillant)


LF :Donc, vous, vous travaillez à la mairie de Saint-Ouen. Un jeune du Red Star a ensuite travaillé à la mairie.
CD : Il est peut-être retraité maintenant ?
LF : Attendez, j’ai 85 ans. J’avais ce gosse-là qui avait 15 ans, moi 40 ans.
CD : Comment s’appelle-t-il ?
LF : Jean-Pierre CANET.
JGR : Il était pro ?
LF : Oui, il a joué au Red Star mais pas longtemps.
(le chef de la sécurité, Monsieur VEILLARD, dirigeant actuel du Red Star, nous salue)
Monsieur Léon FOENKINOS nous montre une photo.

LF: Ca c’est contre Bordeaux au Parc des Princes !
Je lui montre une photo de Rino DELLA NEGRA.
LF : Ah, C’était un garçon extraordinaire ! D’une gentillesse ! Lui, jouait ailier droit. Vous savez que ça m’a fait un choc, votre lettre ! Nous n’étions pas au courant ! Il venait au stade, il se déshabillait, il faisait l’entraînement et il repartait. Il nous serrait la main. Il nous disait toujours bonjour mais il ne pouvait pas nous parler !
JGR : On se méfiait de tout le monde !
LF : Il ne pouvait pas se permettre de nous dire ceci et cela. Et heureusement, vous savez, car j’ai appris après, que notre entraîneur était un collaborateur !
CD : Vous souvenez-vous de son nom ?
LF : Si, VUILLEMIN !
JGR : VUILLEMIN était un collaborateur ?
LF : Oui, attendez, vous savez pourquoi j’ai compris que c’était un collaborateur ? Parce que son frère était ingénieur. Il est parti en Allemagne pour créer les V1-V2. Quand il nous a dit : « De toutes façons, en Allemagne, avec ce qu’ils vont faire, ça va être terrible, ils vont avoir les V2, ils vont bombarder et les Allemands vont gagner la guerre ! » Alors ça laissait supposer … Mais attendez, j’ai une autre histoire !
JGR : Je vous en parle car j’ai connu VUILLEMIN ayant joué au Red Star, mais pas en pro !

… peur pendant tout le temps jusqu’à la fin de la guerre parce que j’ai fait un peu de résistance à ma façon et j’ai toujours eu la trouille. Une fois, sur le boulevard de Clichy, heureusement que la Gestapo n’était pas là ! Ceux qui faisaient la police, c’était les soldats de la Wehrmacht. Je sors ma carte du Red Star ! Ils me font : « Nixt goud papir ! Feuchten ? » Je lui fais comprendre que je suis footballeur et que le dimanche je joue au football et que je te donne une invitation ! Les gars étaient sympas parce que c’était pas la Gestapo. L’un me fait : « Toi, filou : » Mais si vous saviez comme je transpirais pendant ces minutes !
JGR : Vous travaillez chez Renault à l’époque. Comment arriviez-vous à concilier vos horaires avec les déplacements et les entraînements ?
LF : A ce moment-là, je ne jouais pas encore au Red Star. J’ai commencé à jouer, début 42. J’ai pas honte de dire que pendant toute cette époque jusqu’à la Libération, j’étais sur le qui-vive !
CD : Voilà une photo, Monsieur FOENKINOS ! Reconnaissez-vous ce jeune homme ?
LF : Ca , c’est d’Argenteuil, c’est DELLA NEGRA !
CD : Avez-vous connu Rino DELLA NEGRA au Red Star.
LF : Mais évidemment ! Je vous dis tout de suite, le pauvre ! Etant donné qu’il était dans la Résistance, il arrivait à l’entraînement, il nous disait bonjour, il était poli, il faisait l’entraînement et il partait. Il ne disait rien. Il ne pouvait rien dire. Il était dans un groupe de résistants, c’était dangereux. CD : Etait-il doué ?
LF : Oui, il était bon ailier-droit. Et puis, il était gentil. Vous savez, quand vous m’avez envoyé la photo … J’ai un cancer et j’ai eu une angine de poitrine … Ca m’a filé un choc !
CD : Saviez-vous qu’il venait d’Argenteuil ?
LF : Non, non, non. On avait le numéro de téléphone de ses parents. On téléphonait. Où il est ? Il n’était jamais là ! Le pauvre ! Il ne pouvait jamais être là ! Son arrestation est sûrement arrivée au moment où il a été surpris parce que pendant 15 jours on n’a pu avoir de nouvelle.
CD : C’est fin 43 qu’il a été arrêté.
LF : Ah ! Je garde un souvenir … de DELLA NEGRA ! Il avait 20 ans. Il a été pris. On l’a su longtemps après et moi, j’ai pensé, et j’ai même proposé à cet enfoiré de collaborateur, à notre entraîneur, comme il avait son frère qui était ingénieur pour les V, il aurait pu essayer de faire quelque chose, de le sortir …
CD : Vous avez demandé ?
LF : Oui, mais j’avais peur de lui et je ne pouvais pas insister ! Alors, vous vous rendez compte dans quelles conditions j’ai passé cette période !
CD : C’est après la guerre que vous apprenez qu’il a été fusillé ?
LF : Non, avant la Libération.
JGR : De mémoire, on n’a jamais vu son nom sur les affiches de fusillés.
CD : C’était l’Affiche rouge de février 44. Il y avait dix portraits dessus alors qu’ils en avaient fusillé vingt-deux.
LF : C’est çà, il y avait des polonais aussi. Ceux-là ont fait un boulot considérable !
CD : Si on s’adressait au Maire de Saint-Ouen, pensez-vous qu’il mériterait un nom de rue dans cette ville ?
LF : Ah, oui ! Certainement ! Il faut faire une réunion à la Mairie pour décider de donner une rue Rino DELLA NEGRA parce que c’était un héros, ce môme-là ! Parce que se battre pour la France alors qu’il était italien ! Il faut jouer là-dessus !
CD : Accepteriez-vous de venir à Saint-Ouen si on décidait de lui donner un nom de rue ?
LF : Oui, oui, oui, moi, je suis disponible, je suis en retraite, j’ai 85 ans !
CD : Pouvez-vous nous parler de la fin de la guerre, la Libération ? Où étiez-vous à ce moment-là ?
LF : J’ai eu peur parce qu’à la fin de la guerre, j’étais avec ma femme, boulevard de Clichy et les allemands n’étaient pas encore partis. Ils ont commence à mitrailler et heureusement, on est rentré dans un immeuble ? Je dis à ma femme : « Attention ! Je suis passé au travers depuis si longtemps, je ne vais pas me faire bousiller maintenant ! »
Par contre, j’ai vu un de mes amis, Pierre WEIL, qui a été tué à Vincennes en allant déloger des Allemands. J’étais chez lui. Vous voyez, ce n’était pas ma destinée de mourir ! Il me dit : « Léon, tu viens avec nous ? » Je lui réponds : « René, tu as déjà fait pas mal de trucs, moi aussi j’ai fait ce que j’ai pu mais maintenant je ne vais pas risquer car c’est la fin de la guerre ! » Parce qu’il y avait des Allemands retranchés à Vincennes, dans le Fort. Alors, une partie des résistants sont partis pour les déloger. Le malheur a voulu que mon copain qui jouait avec moi au foot à l’A.S. Française soit tué. On a su que c’était Pierre WEIL.
CD : En quelle année, avez-vous quitté le Red Star ?
LF : En 45. Ensuite, je suis allé voir des matches mais je n’ai pas voulu rejouer avec l’équipe amateur !
CD : Parce que j’estimais que j’avais encore une place dans l’équipe professionnelle. Alors, je suis allé jouer au C.A. Montreuil. Nous avons été champion de France. J’ai joué demi-centre à Montreuil mais je suis capable de jouer n’importe où. Je préfère ailier pour marquer des buts ! Et puis, j’avais le sens, le pif, je sentais le coup, je sentais que j’allais démarrer, que le gars va commettre une erreur ; c’est inné çà ! On l’apprend pas. Quand j’entraînais St Leu la Forêt j’essayais d’apprendre à des garçons de jouer de la tête. Je leur lançais un ballon. D’après son mouvement, je savais si il irait loin ou pas !

Archives      Retour à la page d'accueil