RAIDES STATS POUR LE CHEVAL DE TROYES  RED STAR 93

Gilles Vidal

Ecrivain, Gilles Vidal assistait au match Red Star - Troyes, le 26 octobre 1996, le match du "fameux but" de Raphaël Vasquez. Il a publié un texte sur cette rencontre, avec son accord nous le reproduisons aujourd'hui.

Red Star : 1 - Troyes : 0
Le Red Star court toujours derrière son passé. Mais peut-il encore se fier à sa bonne étoile ?

RAIDES STATS POUR LE CHEVAL DE TROYES
par Gilles Vidal

TROIS quarts d'heure avant le match, au bar l'Olympic se trouvant juste en face la porte principale du stade Bauer, les supporters troyens irréductibles sont déjà là (une poignée), descendus titubant de leur car, sans cheval fantaisiste sous le bras mais avec de pleins bides prêts à accueillir des équipes de canettes avec leurs remplaçants. Et, au bout du zinc banlieusard, écharpes bicolores crasses autour du cou, chopes provocatrices en mains, ils chantent des trucs du genre : «Faut les voir les gars de Troyes, à la buvette le samedi soir, ils sont pleins ils sont noirs, les supporters de Troyes, glouglouglou (refrain). » Puis direction le stade maigrement rempli pour la première mi-temps. Disons même carrément que les tribunes sont désertes, il doit y avoir plus de monde pour un match de Nationale 1 campagnard. Seule chose positive : la tribune officielle du Red Star ne ressemble pas à celle BC-BPSG du Parc des Princes, c'est déjà ça. Et puis, j'ai toujours eu un faible pour le Red Star, car mon équipe du Téfécé (Toulouse Football Club) avait fusionné avec celle du Red Star à la fin des années soixante après avoir fait faillite (je me souviens d'un joueur, Bruneton, qui était blond comme les blés).

Mais les supporters du Red Star, aujourd'hui, sont muets, certainement déçus par les performances de leurs idoles battues 4 à 1 trois jours auparavant en éliminatoires de la Coupe de la Ligue contre Lorient. Pour tout dire, on n'entend gueuler et chanter que ces Troyens, insatiables de bout en bout, les visages peints en bleu et blanc, en Tshirt malgré la fraîcheur et les courants d'air, bleu et blanc comme les couleurs magiques qui habillent les socios de l'OM dont ils ont la même fougue, et auxquels ils ont emprunté certains de leurs chants (« Ce soir on vous met le feu ! » etc.). Au bord du stade, derrière le panneau d'affichage manuel, il y a un immeuble en forme de toboggan : sur 150 fenêtres, il y en a à peine une dizaine occupées par des gens qui matent gratos, c'est dire le peu d'intérêt suscité par l'événement. Le 17 bleu de Troyes, Monier, avec ses longs cheveux blonds, est encore le seul joueur du terrain qui semble en vouloir, qui se remue le cul d'un bout du terrain à l'autre.

Peut-être se prend-il pour Daniel Bravo ? En tout cas, lui, au moins, a envie de prouver quelque chose, et qui sait, pourquoi pas, de rejoindre un jour une écurie de D1. Autrement, on ne sent aucune motivation de part et d'autre, les joueurs se passent tranquillement la balle, comme s'ils étaient à l'usine ou bien qu'ils avaient la peur au ventre. Il y a certainement plus de fougue dans un match de récré improvisé sous le préau.

Maigre bilan de cette 1ère mi-temps : deux trois occases timides de chaque côté. Mais voilà qu'à deux minutes de la fin de cette dernière : patatras et méga-caganis. Sur un tir anodin d'un joueur du Red Star, Vasquez, le goal de Troyes est à côté de la plaque et laisse filer le ballon au fond de ses buts. Las ! But foireux pour match foireux.

D'ailleurs, d'où je suis, je n'ai pas vu grand-chose (ça me rappelle un jour, je ne sais plus dans quel stade, un môme devant moi habitué aux rencontres télévisées, pour qui ce devait être le premier match « pour de vrai », après un but inattendu, demandait à son père avec de grands yeux embués : « Dis Papa, et le ralenti ? »). Mais les supporters de Troyes n'ont pas baissé les bras. Ils y croient encore : «Poussez poussez les Troyens ! » (ouais, les pousse-café !) « On est chez nous » (ben, ils ont bien raison) « Le public avec nous ! » (il N'Y A PAS de public). Et même, sur un corner : « Un but un but un but ! » qui ne viendra pas. Mais quand un ballon redstarien heurte la barre transversale, là, tout de même, les gosiers s'assèchent.

En ce qui concerne la 2e mi-temps : no comment. D'une tristesse infinie. Les Troyens n'arriveront jamais à revenir au score, grâce notamment au stoppeur barbu du Red Star (Fiatte) que j'avais trouvé un peu fébrile en début de partie, et qui, au fil du match, m'a fait mentir, réussissant qui d'un tacle plutôt propre qui d'une tronche en extension à écarter les timides velléités troyennes. Malheureux Troyens qui auraient très bien pu repartir avec le point du match nul. Ah match nul, quand tu nous tiens...

Tandis que les supporters du Red Star, à peine heureux du résultat, rejoignent dans la nuit leurs masures, nos supporters troyens bourrés, avant de reprendre leur autocar, l'ont un peu triste, et viennent boire un dernier verre à l'Olympic (« On a perdu comme des crevettes ! » laisse tomber avec dépit un petit chauve plein de bière amertume [les crevettes se cachent pour mourir, c'est bien connu !]). Les portes des vestiaires, elles, restent obstinément closes : les joueurs du Red Star sont en train d'essayer de faire pipi pour le contrôle antidopage. Ça a l'air sacrément poussif. Finalement, ce soir, pisser, c'est aussi dur que de marquer un but.

Bref, avec un match de ce calibre, je ne crois pas que les vieux supporters du Red Star (s'ils ont du moins la chance que le département 93 leur offre un nouveau stade pour leur prochain centenaire) feront comme ceux de l'Ajax d'Amsterdam dont certains ont décidé que leurs cendres soient dispersées après leur mort sur la vieille pelouse mythique de l'ancien stade qui a été repiquée récemment dans un cimetière de la ville batave. N'est pas l'Ajax qui veut...

© Gilles Vidal

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